GLOBAL
INDUSTRIE
Actualités

Partager sur

Cobots, robots fixes ou mobiles : comment les intégrer ?

La robotique industrielle n'est pas récente, mais elle a considérablement évolué ces dernières années : naissance de la cobotique (robotique collaborative), apparition de nouveaux types de robots dans les entreprises (véhicules automatiques autoguidés, machines auto-apprenantes…). S’ils sont facteurs de compétitivité, les cobots et les robots fixes ou mobiles se doivent de cohabiter dans un environnement industriel adapté. Ce qui ne va pas forcément de soi. 

Quels sont les usages de ces robots ? Que changent-ils dans l'industrie et dans la façon de travailler ? Comment les choisir et les intégrer ? C'est à ces questions qu'ont répondu, le 6 mars dernier, plusieurs industriels à l'occasion d'une table ronde organisée sur Global Industrie Lyon animée par Thierry Pigot, Rédacteur en chef du magazine Jautomatise.

 

LA COBOTIQUE, EVOLUTION ROBOTIQUE MAJEURE 

 

L'évolution la plus marquante de la robotique, ces dernières années, est que le robot est sorti de sa cage et travaille désormais avec l'humain, souligne Nathalie Julien, Professeur des Universités et responsable des relations entreprises de l'ENSIBS (Ecole Nationale Supérieure des Ingénieurs de Bretagne Sud), auteur de l'ouvrage "L'usine du futur : stratégies et déploiement". De cette collaboration entre l'homme et la machine, la cobotique, naît une nouvelle conception des postes de travail, voire une nouvelle vision du travail lui-même. 

Une analyse partagée par Jean-François Thibault, Responsable du programme Ergonomie du groupe Safran, pour qui le cobot change fondamentalement l'activité de travail. Il en distingue trois types, tous utilisés par le troisième équipementier aéronautique mondial : 

  • le cobot colocalisé qui peut travailler indépendamment de l'opérateur, lequel intervient uniquement, par exemple, dans la finition du produit, 

  • le cobot en interaction avec l'opérateur, pour mesurer des pièces par exemple, qui suppose un gros travail d'ergonomie, 

  • le robot téléopéré, utilisé notamment dans des opérations avec des produits chimiques pour lesquelles il est important d'éloigner l'homme, qui l'actionne donc à distance.

La règle est de maximiser la valeur ajoutée de l'opérateur pour le décharger de plusieurs tâches, surtout si elles sont pénibles, et bien sûr gagner en productivité. 

 

L'APPORT CONSIDERABLE DE LA ROBOTIQUE DANS LA LOGISTIQUE

 

Sébastien Béal, Directeur général du site de Sevrey, l'un des cinq entrepôts logistiques d'Amazon en France, explique que les robots qu'il utilise, et qui ressemblent à de gros aspirateurs autonomes, lui permettent de regrouper, sur une même surface d'entrepôt logistique, 50% de stocks d'inventaire en plus. Une zone est dédiée à leur circulation et une autre, séparée physiquement, à l'activité des collaborateurs.

Chaque robot, qui pèse 350 kilos et peut supporter des charges de 150, se déplace librement dans le champ qui lui est dédié, va récupérer les armoires où sont stockés les produits et les amène vers les stations de prélèvement des opérateurs. Le résultat est une densification de l'inventaire (donc une amélioration de l'offre faite au client) et une réduction du temps de cycle qui permet aux collaborateurs de se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée comme la vérification de la qualité ou l'emballage. 

 

LA ROBOTISATION IMPOSE DE REVISITER SON ORGANISATION INDUSTRIELLE

 

Robot/Cobot | Global Industrie

Jérôme Bertin, Responsable Coordination et Développement à l'Aract (Agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail en Auvergne Rhône-Alpes), a travaillé sur le facteur humain dans l'industrie du futur, notamment dans des cas de robotisation élevée. Ses recherches, menées principalement auprès de PME et d'ETI, font ressortir que le robot a un double objectif :

 

 

 

 

  • un gain en productivité, fiabilité et qualité,

 

  • une sécurisation de l'opérateur qu'il décharge d'activités pénibles, ce qui permet de le repositionner sur des tâches à valeur ajoutée. 

 

Le souci est que souvent la PME considère le robot, dans lequel elle a investi lourdement, comme un outil technique qu'elle ajoute sur une ligne de production ou qui la remplace purement et simplement sans s'apercevoir qu'il nécessite de revisiter totalement l'organisation industrielle. Cette absence de développement stratégique entraîne une conduite de projet défaillante et forcément décevante à l'arrivée, économiquement parlant : baisse des taux d'occupation machines, augmentation des coûts salariaux et de maintenance, hausse des rebuts… 

Nathalie Julien (ENSIBS) partage cet avis. Les robots ne sont pas que des objets que l'on pose. Les opérateurs, souvent mal informés, ont peur de leur impact. Il faut les informer de ce qu'on va faire et des raisons, en insistant bien sur le fait que le but est d'améliorer les conditions de travail des salariés, et accompagner ces derniers dans la transition tout en prenant en compte leurs besoins. 

 

UNE NECESSITE : ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT

 

Chez Jacquemet, PME spécialisée dans le travail du fil métallique, les tâches qui ont été automatisées sont effectivement les tâches "ingrates", dans le but d'améliorer les conditions de travail, confirme Jordane Riva, Responsable industrialisation du groupe. Il a fallu plusieurs mois pour que le premier robot soit accepté par les collaborateurs, même si tous avaient été informés de cette décision par la direction générale. Mais à l'arrivée le succès est au rendez-vous puisque l'entreprise, équipée de 9 machines, travaille actuellement sur 25 sujets robotiques.

Pour mettre en place la quinzaine de projets cobotiques actuellement en cours chez Safran, il a fallu travailler sur une vraie démarche de conduite du changement, abonde Jean-François Thibault. Même un grand groupe comme le sien s'est "pris les pieds dans le tapis" avec les premiers modèles, rencontrant les difficultés énumérées par Jérôme Bertin. On touche en effet, avec la robotisation, aux questions d'organisation du travail mais aussi de représentation que l'on se fait du travail futur.

 

Cobot Robot | Global Industrie

 

Laquelle se résume encore trop souvent à l'idée que la machine va travailler toute seule et nous voler notre emploi… Or si l'on met en place de la cobotique, c'est précisément pour conserver la valeur ajoutée de l'opérateur : sans elle, il y aurait des robots partout ! Il faut une dizaine d'années d'expérience à un opérateur pour savoir monter un moteur d'avion : il faut donc savoir préserver ce collaborateur en l'aidant sur certaines tâches pour lui permettre d'exprimer au mieux son savoir-faire. 

 

Afin de parer à ces préjugés et optimiser le process, Safran a donc mis en place une démarche de co-conception afin de co-construire ce que sera l'activité future des opérateurs avec les cobots. Il s'est appuyé sur une plateforme du CEA et des experts scientifiques en robotique, en ergonomie et en cognitique pour réussir l'interface entre la machine et l'opérateur. Des fournisseurs et des start-ups sont également intégrés au processus de réflexion : la cobotique touche aux nouvelles technologies et nécessite d'agencer des briques qui peuvent être matures indépendamment mais pas ensemble. Il faut donc les faire monter en maturité via une plateforme. 

 

UN IMPACT EMPLOI POSITIF

 

Sébastien Béal rejoint les autres participants dans leur analyse : le robot n'est pas une fin en soi et doit s'inscrire dans une démarche globale de modification de la production ou de la livraison pour offrir plus de bien-être au salarié et une meilleure qualité de service. Quand le groupe a commencé à déployer en Europe le programme Amazon Robotics début 2016, il y comptait 40 000 collaborateurs ; ils sont désormais 83 000. Les robots ont permis de soutenir la croissance et donc l'emploi. 
Jérôme Bertin (Aract) constate en effet que cela a été l'une des grandes surprises de son enquête sur la robotisation dans les PME : il s'attendait à un impact emploi négatif alors qu'il s'est avéré positif ou au pire nul. L'une des principales raisons est effectivement que l'on concentre l'activité des hommes sur un savoir-faire précieux accumulé depuis des années, comme dans le cas de Safran. Très vite, les craintes des opérateurs sont par conséquent tombées.

 

PASSER A LA ROBOTISATION : MODE D'EMPLOI

 

Pour que les choses se passent bien, Nathalie Julien conseille, avant d'effectuer ces changements majeurs, d'aller voir les collaborateurs pour les informer et dénouer les peurs. Il faut avant tout recueillir les besoins des opérateurs sur le terrain. Les laboratoires et les universitaires peuvent aussi accompagner les entreprises pour qu'elles puissent tester des solutions, défricher le terrain et étudier la faisabilité de leur projet à la fois avec des techniciens et des ergonomes. 

Jérôme Bertin souligne qu'en Auvergne Rhône Alpes, voire ailleurs, les PME peuvent aussi se faire accompagner par la Région. Il existe des programmes consacrés à l'industrie du futur qui permettent de réfléchir à la stratégie, travailler la numérisation, l'organisation du travail, la performance… La Région assume de 50 à 80% du coût global du projet. Des organismes tels que la BPI offrent également des financements, la DIRECCTE a aussi un programme de soutien… Par conséquent, les entreprises peuvent actionner nombre de dispositifs. Les pôles de compétitivité ou encore les agences régionales de la French Fab sont également là pour, au minimum, informer les industriels. 

 

QUELLE ROBOTIQUE POUR DEMAIN ?

 

Sur 175 entrepôts Amazon répartis à travers le monde, 25 sont à ce jour équipés de cobots et robots qui cohabitent en fonction des activités, souligne Sébastien Béal. Le premier site français ouvrira en 2019. On en est donc au tout début et de nombreux projets sont sur les rails. 

Chez Safran, on en est également au commencement, estime Jean-François Thibault. La cobotique est un axe stratégique dans le déploiement de l'industrie du futur dans le groupe. Il a ainsi un portefeuille de 60 projets dédiés à ce jour à ces technologies. Pour le moment, l'équipementier aéronautique poursuit le déploiement de la robotique traditionnelle, mais de façon moins marquée, et celui de la cobotique, qui a un coût moindre qu'une cellule complètement automatisée et qui est plus flexible.

Chez Jacquemet, on teste souvent d'abord une ligne avec des cobots avant d'éventuellement passer à une solution robotique standard pour gagner en rapidité.

Comme le souligne Nathalie Julien, nous n'en sommes qu'au début. De multiples possibilités technologiques restent à découvrir. Si on laisse l'humain et la qualité du travail au centre, certains secteurs d'activité retrouveront une attractivité et une excellence depuis longtemps perdues, où chacun trouvera sa place.
 

Le 04/02/2020