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Le MES, abréviation de l'anglais Manufacturing Execution System, désigne un logiciel de pilotage de la production capable de collecter en temps réel les données de production d'une usine ou d'un atelier. Une fois analysées, elles permettent aux industriels d'accroître leurs performances tant en termes de traçabilité, que de contrôle de la qualité, de suivi de production, d'ordonnancement et de maintenance préventive et curative. Il est donc central pour les entreprises.
Le 7 mars dernier, à l'occasion d'une table ronde organisée sur Global Industrie Lyon et animée par le journaliste Jacques Pary, plusieurs utilisateurs prestigieux ont fait part de leurs retours d'expérience sur des exemples concrets de mise en œuvre.
L'activité industrielle de la Banque de France, pourtant importante, est souvent méconnue, explique Christophe Grange, Responsable Logistique & MOA Informatique au service de Fabrication des Billets. Or l'une de ses filiales, l'une des usines de papeterie les plus modernes d'Europe, produit à Clermont-Ferrand une centaine de millions de feuilles de papier fiduciaire avec une capacité de 5 000 tonnes par an. Proche de celle-ci, la Banque possède également une imprimerie de 600 personnes qui produit de 2,5 à 3 milliards de billets par an. L'industrie fiduciaire est une industrie comme les autres, soumise à des impératifs de qualité, délai et productivité… pour lesquels le MES constitue un atout précieux.
En effet, il est indispensable, dans ce domaine d'activité, de maîtriser la traçabilité des valeurs. La Banque de France a donc mis en place dans l'ensemble de son parc industriel un système performant de collecte de la donnée en temps réel grâce à des capteurs introduits au sein des machines. A cette volonté initiale de collecte des données se sont ajoutées d'autres attentes plus classiques de contrôle, d'agrégation, de traçabilité… Elle souhaitait un MES capable de s'intégrer dans un ensemble cohérent et d'assurer une communication efficace entre les machines et son logiciel de type ERP*, positionné sur les fonctions tertiaires, afin d'obtenir une Interaction Homme-Machine (IHM) unique dans les ateliers. Le MES est donc l'IHM des ateliers : il occupe une place centrale entre l'ERP et les machines.
Didier Panis est Directeur IT Applications & Data chez Saft. Pour cette société centenaire du groupe Total qui fabrique des batteries industrielles dans 14 usines, le MES constitue une contribution majeure à la transformation digitale. Le programme, démarré il y a deux ans et demi, a comme objectifs de booster la productivité et d'améliorer la flexibilité à la fois des usines et des métiers, de la R&D jusqu'aux ventes et à la maintenance. Dans l'usine en particulier, il a permis de mettre en place la dématérialisation. Saft travaillait en effet jusqu'à présent avec beaucoup de papier du fait d'un fonctionnement basé sur les méthodologies lean, avec un management visuel et des indicateurs remplis à la main. Il s'agissait par conséquent d'amener les données vers un format numérique pour pouvoir les analyser, les consolider et les rendre visibles aux différents services concernés.
Le MES constitue donc ici un moyen de capitaliser sur les données et d'améliorer le taux de rendement synthétique (TRS), indicateur qui permet de suivre le taux d'utilisation de machines. L'entreprise, après l'avoir testé sur deux sites pilotes, le déploie actuellement sur l'ensemble de ses usines dans le monde, en l'adaptant aux spécificités de chacune.
Olivier Maho, Responsable I&L (Industry & Logistics) chez BG Security, du groupe Somfy, souligne que l'un des plus gros gains générés par le MES est humain.
Dans son entreprise, qui fabrique des objets connectés, l' "X user experience", qui désigne l'expérience que fait le client lorsqu'il déballe son produit, est primordiale. Aussi a-t-elle eu l'idée de l'étendre au "X operator" : en amenant le numérique dans l'usine, il faut réinventer le parcours qui conduit ses employés à son utilisation. La data a donc été utilisée pour donner du sens, pour expliquer cette transition, ce qui a permis d'améliorer le travail : les salariés comprennent l'intérêt du numérique, savent où se trouve la donnée et comment l'exploiter. Cela a aussi fluidifié la communication interne, voire rapproché certains services, comme la production et la maintenance. Permettre de savoir ce que l'on fait et pourquoi a été un immense apport du MES pour BG Security.
Didier Panis (Saft) souligne qu'il existe plusieurs niveaux de visualisation de la donnée :
1 Le premier se situe sur la machine de production dans l'atelier, et nécessite un gros effort sur l'ergonomie pour que l'opérateur puisse repérer rapidement et facilement les éventuels problèmes.
2 Le deuxième est au niveau de l'usine ou d'un îlot : il vise à visualiser les éléments clés qui vont permettre au management de prendre les décisions.
3 Le troisième et dernier étage chez Saft est celui du data lake qui concentre non seulement les données de production, mais aussi celles de maintenance et de qualité qui, mises en corrélation, vont pointer un souci ou une dérive : c'est notamment très utile en termes de maintenance et de qualité prédictive.
Or tout ceci n'est possible que si l'on capte de la donnée sur le terrain grâce à une infrastructure qui s'appelle… le MES !
Christophe Grange le rejoint tout à fait dans cette analyse. La donnée, dans les systèmes ERP, s'adresse plutôt aux bureaux en général : c'est de l'analyse après-coup qui intéresse peu les conducteurs de ligne et l'atelier. L'intérêt du MES est qu'il s'agit de données concrètes d'atelier en temps réel. Comme Saft, la Banque de France a aussi développé différents niveaux de restitution de données. Le premier est celui qu'elle appelle les VTR (Vues Temps Réel), bâties avec les utilisateurs et qui ont donc un sens pour les opérateurs. Le second est un système d'alerte complet dans lequel le MES envoie des incidents et des alertes codifiés aux principaux responsables des services maintenance, production, traçabilité…
La vraie force du MES est de capter ce qui se passe à l'instant T, abonde Olivier Maho (BG Security), toutes ces données permettant de déceler des problématiques inédites.
Le logiciel ne fait cependant pas tout, souligne Christophe Grange (Banque de France) : pour permettre au MES de s'exprimer efficacement en temps réel, il faut à la base équiper les machines de capteurs placés aux bons endroits pour récolter l'information dont on a besoin. Il nécessite en effet une donnée fiable et performante, ce que permet la rapidité de l'évolution technologique actuelle. Si on ne passe pas avant tout par cette phase de modernisation pertinente, on numérise nos gaspillages
, résume Olivier Maho. Il convient donc de le faire étape par étape, sous peine de se perdre en route.
C'est ce qu'a fait Didier Panis. Saft a commencé par identifier les problèmes que rencontrait ses métiers et les indicateurs à améliorer, avant de s'attaquer à la traçabilité puis au suivi en temps réel du TRS. Condition sine qua non pour qu'opérateurs et superviseurs s'approprient la donnée et comprennent l'importance de l'apport du MES.
C'est aussi dans le temps réel que réside la difficulté du MES, fait remarquer Christophe Grange : on peut recetter** un ERP dans un bureau mais pas un MES qui, par définition, est connecté aux machines. Il faut donc impliquer les opérateurs dès sa conception pour l'optimiser. Cet échange entre la production et les concepteurs du projet est très intéressant : on ne plaque pas une solution toute faite mais on réalise ensemble de l'inédit.
BG Security a également avancé petit à petit et de manière ordonnée dans sa mise en place du MES, souligne Olivier Maho, en impliquant dès le début les futurs utilisateurs. De même que Saft, confirme Didier Panis : l'implication des équipes et le fait qu'elles puissent voir les données à tout moment a ainsi permis de surpasser les résultats, pourtant déjà excellents, du lean papier. Le projet ne peut réussir que si le responsable de production et le patron du site sont impliqués dès le départ : ce n'est pas un projet IT, même s'il y a bien sûr des informaticiens derrière, mais un projet manufacturing, qui doit être porté par l'industrie et dont l'IT n'est qu'une composante. Le MES est transverse et modifie donc réellement les métiers, insiste Christophe Grange : il est donc primordial d'impliquer tous ses acteurs et de pouvoir bénéficier d'un appui au plus haut niveau de la hiérarchie, sinon on va à l'échec. Il faut aussi pouvoir justifier d'un ROI, fait remarquer Olivier Maho, car il permettra de faire valider plus facilement les phases successives et de diffuser rapidement le côté excitant du projet auprès des équipes qui s'impliqueront d'autant plus.
Pour tous ces intervenants, on ne pourrait plus travailler aujourd'hui sans le MES qui, en s'imposant comme l'interface et l'outil de pilotage de la production en temps réel, véritable "cockpit digital de la production", génère même des besoins plus larges que son périmètre d'origine. C'est purement et simplement l'outil du futur !
Le 28/01/2020