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Réinventer tous les possibles grâce à l’impression 3D

Ces dernières années, l’impression 3D s’est démocratisée. Elle permet désormais aux industriels de laisser libre cours à leurs idées et de se « réinventer ». Une table ronde, organisée le 5 mars dernier sur le salon Global Industrie à Lyon et animée par Jean Sreng, de l'Alliance Industrie du Futur, a réuni quatre d'entre eux autour d'un partage d'expérience.

 

L'IMPRESSION 3D OUVRE LE CHAMP DES POSSIBLES DANS LA SANTE

 

David Ryan est Directeur des opérations de Medicrea, une société française basée à Lyon qui conçoit, fabrique et vend partout dans le monde des dispositifs médicaux pour la chirurgie de la colonne vertébrale. Si elle existe depuis 15 ans, elle a pris un virage important il y a 5 ans en proposant en première mondiale des implants réalisés sur mesure pour les patients.


C'est dans cette nouvelle stratégie que s'est intégrée l'impression 3D, via l'acquisition d'une machine EOS fusion titane qui permet de produire des implants de nature, structure et géométrie très spécifiques impossibles à réaliser par les techniques traditionnelles dont l'objectif est de permettre la recolonisation osseuse. Il s'agit de redresser et de fusionner la colonne vertébrale dans une position anatomique convenable pour des patients chez qui elle est déformée du fait de dégénérescences, de traumas ou de maladies congénitales. Pour ce faire, Medicrea crée de petites structures complexes qui ne sont pas usinables et des implants aux surfaces très spécifiques qui viennent se coller parfaitement aux vertèbres des patients pour leur offrir une stabilité et une intégration optimales. 

Un défi rendu possible par la fabrication additive qui a ouvert le champ des possibles sur ce type de réalisations avec de surcroît des coûts de fabrication compatibles avec les marchés sur lesquels l'entreprise travaille, notamment la France où les prix sont parmi les plus bas au monde. 

 

UNE MAISON IMPRIMEE EN 3D

 

Dans un autre registre, Xavier Aduriz, Ingénieur commercial pour Ouest Valorisation, une SATT (Société d'Accélération du Transfert de Technologies), a également collaboré à des réalisations au plus près de l'être humain, via la technologie Batiprint 3D, développée par deux laboratoires de l'université de Nantes.

Elle consiste à déposer trois couches de matériaux : deux de mousse polyuréthane qui permettent de faire un coffrage dans lequel est ensuite coulé le béton. Une fois celui-ci durci, les deux couches de polyuréthane deviennent des isolants. Ces trois couches sont déposées par un bras robotisé polyarticulé couplé à un chariot de type AGV, le tout étant guidé par capteurs laser. On peut donc in situ, sur une simple dalle, imprimer une maison à partir d'un fichier ou d'une maquette numérique type BIM (modélisation des données du bâtiment) ! 

La robotique devient ainsi un nouveau corps de métier du bâtiment. 

 

UN OUTIL DE DIVERSIFICATION ET D'ECONOMIE

 

Théophile Guettier est Responsable Impression 3D à l'usine Bosch de Mondeville, en Normandie. Laquelle se diversifie depuis quatre ans en mettant ses moyens de production au service de nouveaux clients, qui ne sont pas obligatoirement issus du monde de l'automobile. L'impression 3D a naturellement trouvé sa place dans cette stratégie de transformation pour répondre à des attentes et des besoins inédits, notamment en réactivité, retours sur investissements et gains en termes de prix. 

Cette activité a commencé par une pièce aussi petite que capitale : un mors de robot, que l'on trouve au bout des pinces des machines sur les lignes de fabrication. Elle est très technique car elle doit épouser la géométrie d'un produit. De plus, son usinage était onéreux car il nécessitait diverses opérations. Or désormais, cela peut être fait à des coûts relativement dérisoires en impression 3D : on passe ainsi de 450 à… 2 euros le jeu de mors. La fabrication additive a permis aussi d'optimiser cette pièce et de la rendre plus performante : au lieu d'être fixée par un système de goupille dont le changement pouvait prendre jusqu'à 15 minutes, celle que présente M. Guettier est clipsable rapidement.

 

DES MOTIVATIONS LOINS D'ETRE PUREMENT ECONOMIQUES

 

Du côté de Batiprint 3D, l'idée du recours à l'impression 3D vient des chercheurs qui souhaitaient faire évoluer le monde du bâtiment en intégrant la robotique pour diminuer les temps et donc les coûts de fabrication, souligne Xavier Aduriz (Ouest Valorisation).

Une motivation économique que l'on retrouve en partie chez Nicolas Blanchard, Directeur Général d’Edalis, PME nantaise d'une trentaine de personnes qui réalise des outillages, notamment aéronautiques, avec des matériaux dits "nobles" en impression 3D comme l'Ultem ou le nylon. Par essence, une PME, pour pouvoir rester compétitive et agile, est obligée de constamment se réinventer pour pouvoir faire rêver ses clients par rapport aux grands groupes et cette technologie est idéale.
La question économique est également importante pour Medicrea qui souhaitait pouvoir fournir aux patients des implants sur mesure fabriqués à des conditions viables. Mais la question des stocks était aussi centrale, fait remarquer David Ryan.

L'entreprise était en effet dans l'obligation de mettre à la disposition des chirurgiens un ensemble d'implants de tailles très variées pour qu'ils choisissent celui qui leur convient le mieux. Cela imposait à Medicrea des inventaires extrêmement lourds : pour pouvoir générer 32 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018, la société était obligée d'avoir 10 millions d'euros de stock. Le fait de réaliser les implants sur mesure un par un permet de réduire considérablement ces inventaires et de pouvoir réinjecter l'argent économisé notamment dans la R&D. 

Chez Bosch, plus que la recherche d'un modèle économique, on est parti de la simple volonté de la direction de tester cette technologie qui se démocratise de plus en plus. Les gains en termes de réactivité et d'efficacité l'ont vite convaincu du bien-fondé de cette orientation : grâce à la fabrication additive, on peut matérialiser facilement un concept 3D qui n'a été vu que sur écran en révélant au passage les défauts éventuels de conception ou de résistance de pièce. A la base, l'idée n'était pas d'investir massivement sur l'impression 3D : ils ont commencé par des machines au prix abordable qui ont donné de très bons résultats et fonctionnent toujours, avant d'en acheter de plus onéreuses. 

 

UNE TECHNOLOGIE COMPLEMENTAIRE DE L'USINAGE TRADITIONNEL

 

Tous les intervenants sont à peu près d'accord : chez Edalis comme ailleurs, l'impression 3D constitue un outil complémentaire. Il est difficile de faire un produit fini à 100% avec cette technologie. Si elle fait rêver les clients, elle doit continuer de s'adosser aux machines-outils traditionnelles pour insérer des fonctions nouvelles ou pour usiner des pièces aux tolérances trop serrées. C'est donc un outil compatible avec un parc traditionnel de machines d'usinage.

Quand l'entreprise a commencé l'impression 3D il y a 7 ans, on lui demandait de réaliser l'outillage exactement comme il était dessiné. Mais Nicolas Blanchard et ses équipes se sont vite aperçus que cela ne servait à rien d'imprimer du plat... Ils ont donc repensé le processus à partir des fonctions qu'offre la fabrication additive en excluant d'imprimer ce qui n'est pas nécessaire. 

Chez Bosch aussi, on pense en termes de complémentarité. Imprimer une plaque en impression 3D n'a pas de sens par exemple, mais cette technologie offre des possibilités nouvelles de moyens de production hybrides détournés. On peut par exemple imprimer certaines parties de pièces d'un ensemble mécanique, travailler sur la légèreté avec le remplissage, sur la complexité de la forme… Il ne faut donc pas hésiter parfois à dire qu'elle ne constitue pas la solution technique idéale et inversement oser tronçonner une pièce pour l'intégrer à un ensemble.

N'imprimer que ce qui a du sens, pour résumer. Chez Medicrea, si la fabrication additive a remplacé, pour certaines catégories de produits, les méthodes d'usinage traditionnelles, les produits ainsi fabriqués doivent suivre un post-traitement, qui reste cependant indépendant des autres lignes de production. 

 

EN REVOLUTIONNANT LA CONCEPTION DES PIECES, L'IMPRESSION 3D SE HEURTE A DES FREINS MENTAUX

 

La révolution qu'implique la fabrication additive n'a pas forcément été facile à faire passer aux clients. Dans le cas de Medicrea par exemple, la diminution drastique du stock de choix au profit du sur-mesure a bouleversé les habitudes des chirurgiens dans un domaine où il est par ailleurs bien compréhensible que l'on ne souhaite pas prendre de risques. La transition a donc nécessité 4 ou 5 ans. Mais ils sont aujourd'hui très demandeurs car ils commencent à voir et à comprendre la multitude de possibilités qu'offre la fabrication additive via la réalisation d'un plan sur-mesure pour leurs patients. En interne également, un temps de transition a été nécessaire : les ingénieurs ont dû réapprendre à concevoir les pièces sans être vraiment accompagnés par les experts, notamment le fabricant de la machine. 

De son côté, Batiprint 3D n'est toujours qu'un programme et n'est donc commercialisé par aucune entreprise, souligne Xavier Aduriz. Grande première mondiale, une maison prototype de 95 m² a été construite et certifiée à Nantes. Elle est aujourd'hui habitée par une famille. Mais le monde du BTP est très conservateur et n'est pas encore prêt à franchir le pas. Ouest Valorisation recherche désormais l'équipe qui construira la start-up qui portera ce projet et continuera à le faire évoluer avec les chercheurs pour prouver au monde du bâtiment que l'impression 3D fait partie de l'avenir du secteur. 

Le problème des certifications est aussi prégnant. Bosch a ainsi développé un projet d'attèle sur mesure imprimée en 3D qui se heurte à des problématiques conservatrices assez spécifiques à la France au niveau de la réglementation. En l'occurrence, une contrainte légale indique que tout dispositif sur-mesure conçu et assisté par ordinateur est la compétence exclusive de la profession d'orthoprothésiste. Or ces derniers ne réalisent pas ce genre de produit qui dépend des orthésistes… Cette solution est donc inutilisable pour le moment alors qu'elle serait utile à ces derniers…

David Ryan confirme que s'il est normal que le monde de la santé soit très réglementé, il y a effectivement problème dès qu'une nouvelle technologie apparaît et que le cadre normatif n'existe pas. Les organismes qui délivrent les certifications prennent peur et montent toutes les barrières possibles pour empêcher les industriels d'avancer… Les produits de Medicrea sont ainsi vendus exclusivement aux USA mais pas encore en Europe car l'organisme français notifié, incapable d'indiquer ce qu'il attendait en termes de performances, n'a pas voulu lui délivrer la certification CE. L'entreprise s'est donc tournée vers un autre organisme, perdant au passage un an et demi et dépensant pas mal d'argent supplémentaire. Avec l'espoir que cela débouche bientôt…

 

LES ENSEIGNEMENTS DE LA FABRICATION ADDITIVE

 

Pour Théophile Guettier (Bosch), quelle que soit l'industrie pour laquelle on travaille, avant de se confronter à de gros projets, il faut creuser les potentiels de l'impression 3D au sein de l'entreprise. Analyser par exemple les pièces de maintenance, standard ou rechange en magasin, les ordonner en consommation annuelle, pour voir ce qu'il est envisageable ou non de faire en 3D. S'il s'agit de pièces onéreuses et très utilisées, comme les mors de robots, le coût de la machine peut être absorbé en quelques semaines. Ce qui permet de lancer la dynamique de l'impression 3D à coût zéro et même de réaliser des gains substantiels très rapidement.

Pour David Ryan (Medicrea), le premier conseil à donner est que si l'on est convaincu, il faut y aller et essayer de réunir les briques qui feront que le projet sera un succès, si possible le plus rapidement possible : réaliser l'expertise technique autour du procédé, savoir bien s'entourer, et étudier attentivement l'environnement normatif et réglementaire pour trouver le chemin de passage qui permette d'atteindre l'objectif.

 

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Le 17/12/2019