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Jumeau numérique : Simuler le fonctionnement de ses machines

Si la continuité numérique crée un lien fort entre les étapes de développement / conception et celles de la production, l’inverse devient également possible grâce à des machines qui implémentent les modèles virtuels. Le jumeau numérique ne cesse ainsi de se développer au sein des entreprises. Mais que désigne ce terme ? Quels sont ses apports ? Comment le mettre en place ?

Une conférence organisée le 6 mars dernier sur Global Industrie, animée par le journaliste Jacques Pary, a répondu à ces questions et à bien d'autres !

 

QU'EST-CE QUE LE JUMEAU NUMÉRIQUE ?


Eric Martin, Professeur des Universités et Directeur de l'ENSIBS (Ecole Nationale Supérieure des Ingénieurs de Bretagne Sud), auteur de l'ouvrage "L'usine du futur : stratégies et déploiement", fait remonter le jumeau numérique aux premières publications sur le sujet qui datent de 2003

A son origine, on trouve la digitalisation de l'industrie : l'automatisation, l'interface homme-machine, les bases de données obtenues par les outils de pilotage… Une entreprise constitue ainsi, au fil des ans, un véritable "patrimoine digital", qui s'apparente à un réel savoir-faire, en cumulant des informations qu'elle transforme en connaissances qu'elle peut ensuite exploiter, sans oublier de les sécuriser.

Le jumeau numérique, à la base, ce sont donc des données. Avec cette particularité qu'elles se situent dans le temps (elles concernent toute la vie du produit) et possèdent plusieurs artefacts, portant à la fois sur des éléments physiques, mécaniques et d'assemblage… Ces deux caractéristiques font qu'il constitue plus qu'un simple modèle. Relié à l'intelligence artificielle ou au machine learning, de plus en plus cognitif, il fournit des outils qui vont permettre, à partir de données, d'apprendre, de comprendre et de décider dans une pluralité de secteurs d'activité.

Ainsi, les universitaires y travaillent car on y retrouve des outils d'intelligence artificielle, d'ingénierie des modèles, d'analyse des données, d'optimisation du Big Data… qu'ils peuvent appliquer à des champs très variés : un chantier naval et un produit agroalimentaire peuvent ainsi avoir leurs jumeaux pour prédire, dans le premier cas, le déroulement de sa construction, et dans le second son évolution bactérienne. Aussi est-il utilisé dans de très nombreux métiers, pour construire une usine, un produit, le simuler, former un opérateur sur une ligne, traiter des analyses…

L'une des difficultés rencontrées est que le jumeau numérique est quelque chose de nouveau, dont beaucoup ignorent l'existence. Nombre d'industriels ne savent pas qu'ils possèdent un patrimoine digital qu'ils peuvent exploiter par ce biais.

 

LE JUMEAU NUMÉRIQUE DANS L'USINAGE


Un premier cas pratique est apporté par Olivier Crespin, Responsable industriel chez MCSA SIPEM, spécialisé dans l'usinage de précision en pièces complexes pour l'aéronautique.

L'entreprise est partie du constat que les machines devenaient de plus en plus compétitives, se déplaçaient très rapidement et que l'homme ne pouvait donc pas intervenir sur chacune d'elles en se mouvant à grande vitesse ! Il était donc nécessaire d'être capable de sécuriser et d'assurer la production tout en préparant les projets suivants.

Par des logiciels de programmation et de simulation, l'entreprise a alors virtualisé son process en réalisant des jumeaux numériques de ses machines. Ils lui permettent, avec toute la cinématique associée, de simuler la programmation et de vérifier s'il y a des risques de collisions ou autres, avant de lancer la production en usinage grande vitesse des pièces avec 95% de chances de réussite à la clé dès la première opération. MCSA SIPEM utilise également des moyens de transfert de programmation d'une machine à une autre pour optimiser ses parcours d'usinage et mettre les mesures en place sur les machines sans arrêter la production.

Le jumeau numérique a permis de remettre en place tous les processus de fabrication, d'avoir une vraie vision de qui fait quoi et de récupérer et échanger des données plus rapidement. 

 

LE JUMEAU NUMÉRIQUE PREND LA MER


Ludwig Gross est Responsable du département Simulation Interactive de TechnipFMC, qui travaille avec les grands groupes pétroliers sur l'exploitation offshore.

La mer, par essence, bouge de façon imprévisible. Il en est de même par conséquent pour les bateaux alors qu'ils doivent faire des levages qui vont jusqu'à plusieurs centaines de tonnes. Depuis très longtemps, l'entreprise effectuait des calculs pour essayer de prédire comment allaient se passer ces levages, le risque le plus grand résidant dans l'incapacité de l'homme à réagir à une situation imprévisible. Or, étant donné les poids en jeu, dès que l'on commence à perdre le contrôle d'un levage, les choses se dégradent très rapidement... En 2014, elle a donc étudié la possibilité de simuler ces opérations en temps réel, avec la même rigueur que celle dont elle faisait preuve jusqu'à présent mais au prix de jours et de nuits de calcul. L'un des objectifs étant également de remettre l'humain dans la boucle.

Le passage au jumeau numérique lui a ainsi permis d'entraîner au maniement des machines, des équipes parfois novices, d'étudier leurs erreurs et la façon dont elles réagissent. Avec en prime un côté ludique qui permet à des grutiers expérimentés de se prêter plus volontiers au jeu d'un apprentissage qu'ils avaient tendance à considérer bien souvent comme l'apanage exclusif des novices. Le fait qu'ils s'entraînent aussi au bureau permet de faire remonter plus facilement et directement ce qui peut être techniquement amélioré, créant ainsi un cercle vertueux de communication entre l'opérateur, qui amène son expérience, et l'ingénieur, qui vient avec sa science et ses nombres. C'est le point le plus valorisant de ce projet, impossible à accomplir dans la réalité où le grutier est enfermé seul dans sa cabine et doit rester entièrement concentré sur sa tâche. Il reste bien sûr encore un peu de chemin à parcourir : si le produit est mature technologiquement, il n'est pas encore totalement assimilé à l'intérieur même de la société par tous les opérateurs ou les ingénieurs. Toutes les données qui existent dans l'entreprise ne sont pas non plus encore valorisées et centralisées de façon à nourrir un modèle qui permettrait aux opérateurs de s'entraîner dans des situations toujours plus complexes mais réelles.

TechnipFMC n'est pas encore parvenu non plus à systématiser la formation, qui reste basée sur des problématiques particulières. En revanche, à travers des objets 3D un peu sophistiqués, le jumeau numérique va permettre de passer d'un type de formation individuelle à un exercice collectif avec interaction entre les opérateurs. La réalité virtuelle est précieuse à ce titre. De même, si un grutier ou un pilote de robot sous-marin n'ont besoin que d'une chaise, des opérateurs de ponts auront besoin d'espace pour déployer le jumeau numérique en récréant un pont de bateau dans un bureau. Un projet exaltant !

On assiste donc progressivement à une évolution des mentalités, avec des "vieux de la vieille" qui ne juraient que par une formation des jeunes sur le terrain, en mer, et qui en viennent désormais à admettre qu'avant, on peut un peu les "déniaiser" grâce au jumeau numérique… 

 

DES GAINS MULTIPLES DANS LA CHIMIE


Claude Schlagenwarth, Responsable Informatique Industrielle de Butachimie, travaille à Chalampé (68) dans le plus grand site mondial de production d'adiponitrile (composé chimique). Son groupe a travaillé sur trois axes de modernisation de ses unités par le jumeau numérique

 

 La construction :  avec la simulation à 95% des modèles de process, ce qui permet de mettre en œuvre très rapidement la partie informatique de très gros projets.

La formation :  avec des simulateurs comparables à ceux proposés aux pilotes d'avions, grâce auxquels les opérateurs peuvent se former à différents scénarios, dont certains rares mais face auxquels il faut savoir réagir. Il est même possible, grâce au jumeau numérique et aux données recueillies à l'époque, de simuler un incident vieux de plusieurs années pour le comprendre.

 L'optimisation :  il faut savoir, dans une grosse unité, où se trouvent les centaines de sous-produits injectés dans le système pour comprendre ce qui se passe dans les tuyaux et les réacteurs. En chimie, chaque pourcentage optimisé entraîne en effet des gains incroyables. La modélisation du process via le jumeau numérique permet d'aller chercher ces gains au plus près possible. 


L'HOMME AU CENTRE DU JUMEAU NUMÉRIQUE


Parmi les problèmes qui se posent en matière de jumeau numérique, l'un des plus importants, soulève Ludwig Gross (TechnipFMC), est celui de la propriété et donc de la responsabilité des données engagées. Tant qu'on collaborait assez peu, chacun était propriétaire de sa donnée. Mais à partir du moment où on les met en commun, la question se pose de savoir qui en devient le responsable, notamment en cas d'erreur finale ou lors de mise à jour.

Il y a une réflexion très intéressante à mener sur ce sujet. Il faudra en particulier que les numériciens ou les simulateurs aient l'humilité de rester proches du terrain et du porteur de la donnée pour s'assurer de sa validité et donc du bon fonctionnement du système.

Un avis partagé par les autres intervenants qui s'accordent à reconnaître que rien ne remplacera jamais l'homme qui a la vision immédiate du process. Tous ces outils sont là pour l'aider car il ne saura jamais analyser une situation complexe en quelques secondes, précise Claude Schlagenwarth (Butachimie). Mais à l'arrivée, ce sera toujours lui qui prendra la décision !

L'industrie du futur replace l'homme au cœur du processus, rebondit Eric Martin (ENSIBS), et le jumeau numérique plus spécifiquement à trois niveaux sur lesquels travaillent les chercheurs :

 1.  La conceptualisation : il permet de conceptualiser une situation que l'homme ne serait pas capable d'aborder s'il ne lui offrait pas cette possibilité.

 2.  La comparaison : il offre de comparer ce qui lui est présenté avec d'autres références pour aider à la prise de décision.

 3.  La coopération : celle qui s'opère entre la machine et l'homme constitue une véritable opportunité pour valoriser ce dernier au sein de l'entreprise.

 

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Le 10/12/2019