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Alors que le Président de la République a choisi de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat, une table ronde "à distance" organisée le 3 juillet dans le cadre de Global Industrie Connect a réuni, autour de Louise Bizot, Responsable des relations institutionnelles du salon, des personnalités motrices de ces changements de mentalité et permis de réfléchir aux nouveaux équilibres à instaurer dans l’industrie à travers les actions concrètes du gouvernement, des associations et du privé. Retour sur les principaux enseignements de ce temps fort.
Dans une introduction enregistrée, Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Economie et des Finances, souligne qu'alors que nous voulons relancer l'économie et faire de la France un pays plus écologique, compétitif et solidaire, il est impossible de faire l'impasse sur 50% de nos talents. Beaucoup de choses ont déjà été mises en œuvre pour l'égalité femmes-hommes et la lutte contre les stéréotypes dès la petite enfance, mais il faut désormais parvenir à faire bouger les pratiques et les mentalités dans le monde professionnel. Un enjeu d'égalité, mais aussi de compétitivité : plusieurs études démontrent en effet que des équipes mixtes obtiennent de meilleurs résultats. Or les femmes ne représentent que 30% des salariés de l'industrie et à peine plus de 15% de ses cadres dirigeants.
Pour améliorer cette situation, elle a créé en mars 2019, sous l'égide du Conseil National de l'Industrie, le Conseil de la mixité et de l'égalité professionnelle dans l'industrie. Ce dernier a conçu un plan d'action précis et ambitieux pour renforcer leur présence en créant les conditions pour que la parité se mette en place spontanément. Il a ainsi travaillé sur des sujets majeurs comme l'éducation, l'orientation scolaire et la gestion des carrières. Il faut parvenir à inspirer les jeunes filles, leur ouvrir les yeux sur l'industrie pour les amener à rêver d'y faire carrière. Un vivier formidable existe : il suffit de le valoriser et le faire exister. L'industrie doit être le fer de lance pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, combat de chaque instant et levier de compétitivité.
C'est dans cette optique que dans le cadre du Conseil de la mixité et l'égalité professionnelle dans l'industrie qu'elle préside, Sylvie Leyre a créé un index de l'égalité hommes-femmes que toutes les entreprises de plus de 50 personnes doivent calculer depuis le 1er mars dernier. Celui-ci vise en effet à les faire réfléchir sur les écarts de rémunération et leurs causes. Le travail effectué avec les partenaires sociaux a permis d'en mettre quatre grandes en évidence :
1- la maternité, injuste puisqu'inhérente à la condition humaine
2- le temps partiel, 80% de ce type de postes étant occupés par des femmes
3- les carrières, les conditions n'étant pas en place pour qu'elles accèdent aux postes de leaders
4- les métiers, ceux techniques et physiques étant mieux valorisés que les soins ou le relationnel
Philippe Darmayan, Président d'ArcelorMittal et de l'UIMM, et membre de ce Conseil au côté de syndicalistes et de chefs d'entreprises, insiste sur le fait que tous sont tombés d'accord sur la nécessité de rechercher les causes profondes de cette sous-représentation féminine liées aux métiers industriels. S'il n'y a que 30% de femmes dans l'industrie, elles ne sont que 10 à 15% dans le cœur de métier : production, R&D… Tout cela remonte très loin, à l'éducation. Il faut donc trouver des solutions pour lutter contre les préjugés qui font que les femmes iront plus vers les métiers de RH et de communication dans l'industrie que sur les autres. Le Conseil a recherché des process pour permettre aux entreprises de changer et aux femmes de valoriser leur expérience. Des partenariats ont été montés avec les associations qui œuvrent à orienter les jeunes filles vers des métiers de l'industrie trop peu visibles.
Sabine Lunel-Suzanne, Directrice du développement social et de la formation d'Engie, est justement Vice-Présidente de l'une d'entre elles, Elles bougent, qui s'attache à générer des rencontres entre des collégiennes, des lycéennes, des étudiantes et des femmes au sein des entreprises. Ces dernières témoignent auprès d'elles concrètement de leurs métiers et de leur utilité, tordant au passage le cou aux stéréotypes. Le but : redorer leur blason, mettre en avant les opportunités de carrière et montrer leur compatibilité avec la vie privée.
Afin de donner plus de visibilité aux profils féminins dans l'industrie, L'Usine Nouvelle a aussi mis en place il y a huit ans un Trophée des femmes de l'industrie qui comprend plusieurs catégories qui reflètent la richesse et la diversité du secteur, souligne Christine Kerdellant, Directrice de la rédaction : entrepreneur, production, projets, R&D, innovation, commercial, développement durable, international et débuts prometteurs. Une trentaine de femmes, véritables rôles modèles, sont ainsi mises en avant chaque année. Un média salon comme Global Industrie s'engage également fortement pour cette cause en lui consacrant chaque année, entre autres actions, des conférences et un prix dans le cadre de ses Awards.
Avant même de parler d'embauche, les entreprises doivent s'impliquer très en amont dans les formations et collaborer avec les établissements de l'enseignement supérieur, mais aussi les lycées et collèges, pour sensibiliser les jeunes filles à l'industrie, insiste Sabine Lunel-Suzanne. Elles doivent leur apporter des exemples de métiers pour montrer leur richesse et leur potentiel à travers des témoignages concrets qui leur permettent de se faire connaître à travers leurs collaboratrices et aux jeunes de s'identifier avec ces modèles.
L'UIMM milite pour que les femmes ne postulent pas que dans les emplois supports à l'industrie, rebondit Philippe Darmayan. Alors que l'industrie se plaint d'un manque de main d'œuvre, on s'est aperçu qu'on laissait de côté un important vivier en ne rendant pas ses métiers attractifs aux femmes. Un travail de remise en question est donc en cours : les entreprises ne doivent plus attendre que la société fasse les choses pour elles ; elles doivent réexaminer leurs métiers pour les rendre intéressants d'un point de vue féminin. En redessinant les postes, en essayant de faire en sorte qu'il y ait sur chacun 50% de candidats de chaque sexe, en travaillant les conditions matérielles et de carrière ou des questions comme la maternité et la paternité, elles peuvent changer les choses. La convention nationale de la métallurgie, qui vient d'être redéfinie, évite ainsi les critères cachés, comme le poids à porter par exemple, au bénéfice des responsabilités et de la motivation, de façon à ce que les femmes s'y sentent à l'aise. Il y a une crispation sur ce thème et il faut donc aller vite car on reproche de plus en plus souvent aux professionnels de l'industrie, quels qu'ils soient, l'absence de femmes en leur sein.
Lors de l'élaboration de l'index, Sylvie Leyre a constaté que l'une des raisons des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes résidait dans la notion de métiers. Quand elles ont fait des études et qu'elles parviennent à accéder à des postes techniques, ces dernières n'y restent pas parce qu'elles finissent par se sentir esseulées. D'où l'importance d'avoir des équipes mixtes. A partir de 25% dans une communauté, on n'est plus considéré comme une minorité. L'index a aussi fait apparaître que l'accès aux plus hautes rémunérations était la mission la plus difficile à réussir pour une femme, ce qui questionne fondamentalement la façon dont on les promeut dans les entreprises qui doivent se remettre en question. Philippe Darmayan pense qu'il faudra, en la matière, fixer des critères quantitatifs pour les forcer à évoluer. Y compris dans les processus électifs : ainsi, dans le conseil de l'UIMM qui compte une centaine de personnes élues dans les régions, moins de 10% sont des femmes.
Pour Christine Kerdellant, mettre en avant les initiatives prises par les entreprises qui parlent de leurs expériences, comme les réunions de travail qui ne dépassent pas 19h par exemple, est très important. Il y a aussi un discours à tenir sur l'intérêt du travail en démystifiant l'image négative de l'industrie, "sale" et "pénible". Il faut également parler du moindre écart de salaires entre hommes et femmes et de l'équilibre accru vie professionnelle / vie privée dans ce secteur. Le tout, encore une fois, en mettant en avant des modèles de femmes parfaitement épanouies dans leur travail comme à la maison. Ce que fait notamment IndustrieElles, un collectif auquel elle participe, doté d'un groupe LinkedIn, soutenu par l'Etat, et dont l'objectif est de réunir au moins un millier de femmes ambassadrices de l'industrie, dans les médias comme dans les écoles, pour montrer qu'y faire carrière est possible.
Le sujet du présentéisme à la française est effectivement très important, rebondit Sylvie Leyre. Rentrer plus tôt pour s'occuper des enfants est inconsciemment encore trop souvent mal vu et rédhibitoire en termes d'évolution professionnelle. Les hommes restent donc plus tard que les femmes, mais pas forcément par choix ni par utilité. De même ces dernières ne postulent pas à des postes de leadership car elles craignent qu'on ne leur demande de rester plus tard et donc de sacrifier leur vie de famille. Il faut remettre en cause ces façons de faire. Hommes et femmes ont tout à y gagner, les premiers ayant aussi le droit de revendiquer une place importante au sein du foyer.
Cela soulève également le problème de l'autocensure, fait remarquer Christine Kerdellant. Les femmes osent moins mettre en avant leurs qualités pour exercer telle ou telle fonction. D'où l'importance d'avoir des modèles. Un autre frein majeur réside dans la sous-représentation des filles dans les écoles d'ingénieurs. Un autre, visible notamment dans les start-ups et plus généralement dans le numérique, pourtant accessible aux plus jeunes, moins imprégnés par l'image antique de la femme au foyer, est qu'elles y sont sous-représentées car trop souvent stigmatisées par leurs collègues masculins. Cette question des préjugés et de l'inconscient est fondamentale pour régler le problème, insiste Sylvie Leyre. Si tous les intervenants de la table ronde sont d'accord pour dire que la question des quotas, auxquels ils étaient à l'origine souvent farouchement opposés, ne devrait pas exister, elle s'est révélée importante par la force des choses pour faire progresser les mentalités car sans eux, on n'y arrivera malheureusement pas… La route est encore longue et difficile.
La mixité est un vecteur de performance, insiste Sabine Lunel-Suzanne, et se priver de 50% de la population est une aberration. Pour donner un exemple concret, un peu caricatural mais très réel, l'industrie automobile a ainsi été bien inspirée de concevoir des sièges conducteurs adaptés également aux femmes, avec des revêtements qui ne filent pas les collants par exemple, car ces dernières sont essentiellement à l'origine des commandes de voitures. Pour parvenir à ce résultat, il est évidemment plus pertinent de faire appel, lors de leurs conceptions, à des collaboratrices qui penseront à ces problématiques. On a donc tout intérêt à mixer les équipes à tous les niveaux. Un avis également unanimement partagé par tous les intervenants !
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Le 26/08/2020