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La période que nous traversons questionne à la fois notre relation au travail et notre souveraineté (ou notre dépendance) dans certains secteurs stratégiques. Ce contexte redonne une importance cruciale aux territoires et à la cohérence de leur gestion. Un thème abordé par des acteurs de premier plan au cours d’une table ronde « à distance » organisée le 2 juillet dans le cadre de Global Industrie Connect. Autour de l'animateur Jacques Pary étaient ainsi réunis trois institutionnels et trois entrepreneurs de premier plan. Retour sur les principaux enseignements de ce temps fort.
En introduction de cette table ronde, Patrice Bégay, Directeur Exécutif Communication de Bpifrance, a souligné, dans une courte vidéo, le dynamisme, la créativité et l'innovation dont fait preuve l'industrie française, nécessaires à tant à la prospérité économique du pays qu'à sa cohésion sociale et territoriale. Durant la pandémie, ses entreprises ont su rester à la fois réactives et créatives.
C'est pour les soutenir que fin 2018, Edouard Philippe, alors Premier Ministre, a lancé, lors du Conseil National de l'Industrie, les Territoires d'Industrie, vaste programme déployé au sein de 148 territoires pour leur apporter des moyens financiers, humains et techniques. La période exceptionnelle que nous vivons met en lumière tout particulièrement l'importance de ce programme.
Guillaume Basset, qui le dirige, rappelle que 70% de l'industrie française se situe dans des zones rurales et des villes moyennes et est particulièrement impactée par la crise actuelle : 30% des emplois sont menacés. L'enjeu actuel est donc d'organiser le rebond. Or les territoires les plus résilients lors de la crise précédente de 2008 ont été ceux avec une tradition de coopération entre industriels et élus et il se trouve que les 1 500 projets des Territoires d'Industrie ont été conçus par ce même type d'acteurs. La crise procure l'occasion de les booster, un plan rebond devant être présenté prochainement.
Si elle est Présidente de la Commission économique de Régions de France, Annabel André-Laurent est également Vice-Présidente Economie d'Auvergne-Rhône-Alpes, première région industrielle de France avec 500 000 emplois et 18 Territoires d'Industrie, mis en place sous le pilotage de la Région pour dynamiser le secteur. Elle se réjouit que dans ce cadre, élus, industriels et Etat communiquent en toute confiance. Cela a été primordial et s'est même renforcé à l'occasion de la crise du Covid, le nombre de réunions ayant augmenté fortement pour évaluer la situation et s'entraider en apportant des réponses adaptées aux problématiques de chacun. Cette dynamique reste très précieuse dans le cadre de la relance qui s'annonce et sur laquelle tous travaillent main dans la main. Quand il existe une réelle proximité entre Etat, Régions et Territoires, cela change tout !
Le rôle des élus, en tant que chefs d'orchestre, est de préserver cette dynamique et fluidifier ces relations. Dans cette crise, la réactivité est extrêmement importante et il faut s'adapter aux nouvelles priorités qu'elle a fait apparaître : la réindustrialisation, la formation, l'attractivité des territoires et l'accompagnement des entreprises vers la transition environnementale et digitale, le télétravail ayant permis à nombre d'entrepreneurs de poursuivre leur activité. Pour elle, Etat et régions doivent aussi être au côté des industriels en favorisant la commande publique dans le cadre de la relance et en allégeant la fiscalité des entreprises.
Dans cette optique, les intercommunalités ont une responsabilité d'accueil et d'accompagnement des entreprises dans les territoires, notamment en termes foncier et d'aménagement économique, explique Nicolas Portier, Délégué général de l'ADCF, Fédération nationale des élus de l'intercommunalité. Actrices de proximité par excellence, en lien avec les Régions, ces dernières sont sur le terrain pour les assister dans leurs besoins au quotidien : déplacement des salariés, logement, déploiement du numérique… En 2018, l'ADCF avait appelé à un nouveau pacte productif entre les territoires et les industriels. Elle s'est donc engagée fortement dans le programme Territoires d'Industrie auquel elle croit à travers ses grands axes d'innovation, d'attractivité, de recrutement et de simplification.
Il implique directement 500 intercommunalités sur les 1 200 existantes, de toutes tailles, des métropoles aux communautés très rurales où se situe l'essentiel de l'emploi manufacturier. L'enjeu post-Covid sera de redonner foi en l'avenir industriel en modernisant sa perception en tant qu'écosystème. Les problématiques de souveraineté industrielle, de relocalisations stratégiques mises en évidence par la crise sont donc un mal pour un bien. Le lien qu'elle a mis en évidence entre le renouveau productif et la transition écologique est aussi une chance : loin d'être une contrainte, il s'agit d'une opportunité. Il est aussi illusoire de croire que la montée du chômage va résoudre le problème de l'emploi industriel car ce dernier requiert des employés qualifiés.
Autre enjeu : des fleurons français de l'industrie sont très impactés par la crise, comme la mobilité avec l'automobile et l'aéronautique, et il va falloir repositionner l'appareil industriel dans les prochains mois. Au-delà des mesures d'urgence comme le chômage partiel ou les prêts garantis, il faut donc dès à présent en profiter pour réfléchir à l'industrie de demain et aider les entreprises à réorganiser leur production pour rebondir et ne pas subir. Il faudra être beaucoup plus réactif et agile dans la reprise qu'en 2008.
Hélène Marchand est Directrice générale de Verescence France, leader mondial du flaconnage de verre pour la parfumerie et la cosmétique, au cœur justement de l'un de ces écosystèmes industriels, situé dans le Nord de la France. La Glass Valley, dans la vallée de la Bresle, représente 60% de la production mondiale. Mais ce secteur français, au savoir-faire internationalement reconnu, est touché de plein fouet par la crise. Pour l'affronter, elle se reconnaît dans les projets des Territoires d'Industrie, tout en souhaitant un peu plus de patriotisme économique, certains groupes hexagonaux vendant du "Made in France" alors qu'ils achètent leurs flacons à l'étranger. Cette crise doit aussi être l'occasion de se réinterroger sur les filières d'approvisionnement et de privilégier des fournisseurs français qui possèdent un savoir-faire compétitif.
Charles Odend’hal dirige les Etablissements Lecuyer, groupe mondial implanté en Normandie depuis 1725, spécialisé dans le textile et la maroquinerie. La diversification, notamment vers des marchés plus techniques, lui ont permis de résister à la farouche concurrence chinoise ces dernières années. Il subit également violemment la crise actuelle. Plutôt que de faire le gros dos en attendant qu'elle passe, il s'est appuyé sur sa position de plus gros fabricant d'élastiques de masques chirurgicaux français pour résister en investissant dans du matériel pour élaborer des produits finis, en tissu et en papier. Cela lui a permis de ne quasiment pas avoir recours au chômage partiel, même si ce fut compliqué. Comme Hélène Marchand, il considère que cette crise doit être l'occasion de réfléchir à ce qui doit permettre aux entreprises d'aller plus vite, d'être plus agiles, plus coopératives et de simplifier leurs contraintes, notamment en matière de taxes.
Patrick Mathieu est Responsable des relations institutionnelles régionales du gestionnaire d'infrastructures de transport et de stockage de gaz Teréga, très impliqué dans le Sud-Ouest de la France dans la transition énergétique via le gaz renouvelable. Référent industriel dans son Territoire d'Industrie, il insiste sur l'idée que la transition énergétique se fera avant tout dans les territoires en impliquant tous leurs acteurs. L'industrie étant avant tout rurale, l'aspect environnemental est primordial et c'est donc cette connexion entre territoires et industrie qui doit être au centre de la politique actuelle.
Une analyse partagée par Guillaume Basset. L'industrie constitue une réelle opportunité de développement pour les zones rurales. En matière de transition énergétique, les Territoires d'Industrie travaillent sur plusieurs thématiques très concrètes. Il s'agit tout d'abord de simplifier la vie des industriels pour favoriser leurs projets d'investissement avec les "sites clés en main", Etat et collectivités s'engageant à délivrer l'ensemble des autorisations administratives, environnementales notamment, en moins de dix mois pour lutter contre le risque majeur de chute des investissements industriels.
Deuxième thème lié à la transition écologique, la transformation digitale où il s'agit de combler les retards sur la 5G notamment par rapport à l'Allemagne ou encore l'Espagne via plusieurs projets portés par plusieurs Territoires d'Industrie.
Troisième et dernier sujet dans cette optique, celui des compétences, prioritaire, notamment via l'opération "1 000 volontaires territoriaux en entreprise", avec une aide de 4 000 euros pour les entreprises qui recruteront l'un de ces jeunes diplômés volontaires, lesquels seront aussi dotés d'une aide au logement de 1 200 euros.
Sur cet enjeu central des compétences, Hélène Marchand souligne que les métiers du verre étant très spécifiques, Verescence a sa propre école de formation. Mais à l'heure de l'automatisation et de la digitalisation accrues des process, des besoins en compétences nouvelles qui n'existent pas en interne apparaissent et nécessitent d'attirer dans des territoires ruraux des ingénieurs. Opération difficile alors qu'il en va de la survie de la filière. D'autant plus que le Covid a accéléré le recours au numérique…
Charles Odend’hal déplore quant à lui que les métiers dans lesquels il est spécialisé ne soient plus dotés de formations depuis bien longtemps. Or ces savoir-faire sont longs et complexes à acquérir alors même que nous évoluons dans un monde où nous avons de moins en moins de temps… Aussi se sent-il un peu délaissé en la matière par les pouvoirs publics, à l'exception des contrats de professionnalisation, par ailleurs lourds à mettre en place administrativement. Aussi la formation est-elle assurée en interne, ce qui coûte cher à l'entreprise. Un projet de formation en confection et maroquinerie est néanmoins en bonne voie avec un lycée. Il réfléchit aussi à créer un centre de formation dans sa société, mais ce processus est complexe en termes de réglementation.
Annabel André-Laurent insiste sur cet enjeu des compétences qui fait vivre l'ensemble des territoires. Les élus doivent donc travailler encore plus sur la question de leur attractivité et de leur aménagement via les contrats-plans Etat-Régions, la mobilité, les formations de proximité adaptées aux besoins des entreprises établies sur les différentes zones géographiques, la transmission des établissements familiaux et la fiscalité qui y est liée, la problématique de la trésorerie, le pillage industriel… Autant de thèmes sur lesquels ils doivent être particulièrement vigilants et pour lesquels les Territoires d'Industrie peuvent être d'une grande aide.
Nicolas Portier tire son chapeau aux entrepreneurs car il considère que la France a tourné le dos à son industrie. Ils ont en effet su monter en gamme, au point que l'on se retrouve avec des territoires ruraux dotés de numéros un mondiaux du luxe notamment. Mais cela nécessite effectivement de rendre ces territoires attractifs et donc une liaison efficace entre industriels, élus et Etat sur tous les sujets qui y sont liés : réhabilitation de l'enseignement professionnel, attractivité des métiers, abolition des préjugés, transition écologique… Le pays, qui a de nombreux points forts, doit aussi s'appuyer sur l'Europe pour promouvoir ses territoires. Il dispose de nombreux atouts pour changer le regard des jeunes sur l'industrie.
Les Territoires d'Industrie, c'est aussi un hommage à ces entrepreneurs et ces élus locaux qui ont résisté dans ces bassins inconnus : leur fonction est de les aider et de les faire connaître !
Le 25/08/2020